Maternité heureuse, mythe ou réalité ?
Un plaidoyer pour le travail de la doula auprès des futurs parents
Introduction
«Cette possibilité que la maternité ne soit pas un don inné, qu’elle se construise avec l’enfant dans le doute et la folie, dans le tâtonnement de la raison du plus aimant. » Marc Vilrouge (romancier Français)
La maternité est une aventure de vie qui transforme, qui bouleverse et qui questionne, quel que soit son chemin. De par sa durée et les bouleversements physiques et psychiques qu’elle génère, la maternité est un processus de vie instable et imprévisible. Si de nombreuses personnes idéalisent cette étape de la vie, pour d’autres, la réalité n’est pas si simple. Et si seulement 5% de la population française ne souhaitait pas connaître cette expérience de vie en 2010, les 95% des français restants ont pu avoir des avis bien différents sur le sujet. Entre désir, peur, joie, appréhension, désespoir, toutes les émotions y passent ! Oui, la maternité est une étape hautement marquante de la vie de la femme et de son entourage. Nombreux sont les films ou les magasines qui la dépeignent positivement, l'idéalisent ou alors tout au contraire, la traitent durement et parlent de traumatismes, de séquelles… C’est une histoire de vie qui peut faire grandir, s’accomplir, rendre heureux ou alors déstabiliser, bouleverser. C’est seulement en la traversant que chacun peut situer le curseur de son histoire.
Mais quand les deux petites barres s’affichent, comment faire basculer la balance dans l’un des deux camps ? Quel chemin emprunter pour bénéficier de tous les atouts de la maternité ? Pour vivre la maternité positivement, est-ce le simple fait du hasard ou des choix sont-ils possibles ? C’est cette question qui m’interpelle, celle de l’espoir à transmettre aux femmes après moi qui auront à traverser cette étape de vie. Comment, en tant que doula, pourrais-je les accompagner vers une maternité équilibrée, positive et épanouissante ? Par ce mémoire, je cherche les clés d’une maternité assumée et source de satisfaction. Le chemin de cette recherche s’ouvre devant moi, mais je sais que l’expérience auprès de chacune des femmes que j’aurais le privilège d’accompagner me donnera encore plus de comprendre les réalités en jeu. J’espère que les réponses que je trouverais seront des appuis solides pour aider ces femmes et que je n’aurais de cesse de rechercher histoire après histoire à consolider cette démarche.
La maternité est définie par le dictionnaire Larousse comme « le fait de porter et de mettre au monde un enfant ». Cette étape de vie correspond donc à la grossesse et à l’accouchement. Le dictionnaire met en évidence deux étapes dans la maternité. Je prendrais la liberté de rajouter le post-partum comme une troisième dimension qui me semble fondamentalement liée. Ingrid Bayot, sage-femme et formatrice reconnue dans le monde de la périnatalité, en parle comme du 4ème trimestre de grossesse. Nous traverserons donc ensemble ces trois étapes de la maternité. Dans un premier temps, je chercherais à mettre en évidence ce qui peut constituer un écueil dans la maternité et rendre son parcours difficile. Dans un deuxième temps, je chercherais à comprendre comment surmonter ces effets. Enfin, je mettrais en évidence des pistes pratiques pour aider à traverser et pourquoi pas à transcender cette étape de vie.
Si je parle principalement des femmes, c’est que je fais référence à celles qui vivent cette étape de vie dans leur corps, mais je souhaite préciser que leurs partenaires peuvent être aussi affectés positivement et négativement et devraient être aussi entendus sur leur vécu. Et si parfois j’ai du lister certaines informations, pour rentrer dans les normes de cet écrit, je réalise combien il serait utile et important de creuser chacun des aspects cités afin de prendre toute la mesure du vécu de certaines histoires. De ce fait, je vous prie d’excuser cette rapidité sur certaines informations données.
Première partie: Quelles sont les difficultés que l’on peut rencontrer dans la maternité?
S’il est aisé de mettre en évidence les joies de la maternité, comme par exemple, le fait de se sentir comblée, de vivre un accouchement rêvé, de se sentir épanouie dans ce nouveau rôle de maman, il est plus délicat de mettre le doigt sur ce qui blesse. Et pourtant, pour mieux comprendre ce qui rend la maternité parfois si dure, il est important de nommer ces difficultés. Nous verrons dans cette partie la plupart des difficultés du vécu de la grossesse et de l’accouchement, celles qui sont générées par le corps médical et celles du vécu du post-partum. Nous les aborderons notamment sous les angles physiques, psychiques et émotionnels.
1- Les difficultés de la grossesse et de l’accouchement:
Lorsqu’une femme annonce sa grossesse, c’est très souvent une réaction de joie qu’elle récolte. Et pourtant, le chemin ne fait que commencer et il pourra potentiellement être semé d’embuches. En effet, la grossesse peut être vécue comme épanouissante mais elle peut aussi être agrémentée de douleurs physiques: nausées, brûlures d’estomac, constipation, hémorroïdes, varices, insomnies, crampes, oedèmes, maux de dos… Si ces effets de la grossesse ne sont pas nécessairement dangereux pour sa santé, ils peuvent être difficiles à vivre au quotidien. Si on ajoute à cela la durée de ces désagréments ainsi que le fait de les collectionner, la femme enceinte peut traverser sa grossesse avec pénibilité.
Prenons un moment pour comprendre aussi les enjeux intérieurs de la femme avec son corps en transformation. Lors de la grossesse, son corps change, il ne réagit plus comme avant (fatigue importante, nausées…). Son corps devient plus volumineux, en particulier son ventre et ses seins (pression sur le diaphragme, vergetures…). Ses capacités physiques se modifient (essoufflements, douleurs ligamentaires, lombaires, dorsales…). Son corps en abrite un autre en pleine évolution, pour atteindre son paroxysme au moment de la naissance. Tous ces changements physiques ont pour but de permettre à un petit être humain de grandir à l’intérieur du ventre de sa mère avant de venir faire sa rencontre. Quelle métamorphose incroyable ! Et cette transformation perdure après la naissance. En effet, le corps de la femme enceinte va devoir se défaire de tout ce qui a été utile pendant la grossesse et revenir à son état d’avant la grossesse. Le placenta et la poche des eaux s’extraient après la naissance du bébé mais le corps de la femme enceinte reste marqué par la grossesse. Ingrid Bayot parle de « dégestation » pour signifier ce travail du corps pour retrouver son état d’avant la grossesse. Il faudra de nombreuses semaines à la peau pour se retendre à nouveau, au ventre pour se raffermir, pour perdre les kilos « en trop ». Il est important de noter que les réactions à ces transformations physiques dépendent beaucoup de la relation que la femme entretenait avec son corps avant la grossesse. D’autre part, le regard du conjoint sur ces transformations impactera aussi beaucoup le regard que la femme aura sur elle-même. Il pourra être soit une aide, soit un frein dans l’acceptation de cette métamorphose. Un autre aspect de la grossesse qui peut être déroutant à vivre pour la femme enceinte est le rapport qu’entretient la société avec son corps. En effet, pendant la grossesse, le corps de la femme devient d’utilité publique et fait l’objet de multiples attentions de part sa mission. Le poids est surveillé, la nutrition devient primordiale, les analyses sont multiples, le corps est sous contrôle. Outre cet aspect surveillance médicale, qui est en grande partie justifié, ce ventre rond attire les regards et les mains baladeuses. Il en fait parfois oublier les bonnes manières! Pendant la grossesse, ce corps et ce ventre prennent une toute autre place dans la société. On pourrait croire que la femme enceinte travaille pour l’humanité et que son corps devient une propriété publique. Chacun se sent concerné et trouve important de donner son avis sur ce que la femme enceinte doit vivre ou doit faire. La femme, a qui appartient ce corps en pleine transformation, peut se sentir instrumentalisée dans ce contexte.
A ces désagréments d’ordre corporel peuvent s’ajouter les émotions que la femme enceinte peut traverser. La grossesse est un moment de la vie où les émotions peuvent basculer très rapidement d’un excès à un autre, mettant ainsi la future mère dans une réalité ambivalente qui peut s’avérer bien insécurisante. Les psychanalystes décrivent ces transformations intérieures de la future mère dans les termes « transparence psychique » ou encore « préoccupation maternelle primaire ». Monique Bydlowski utilise les termes « transparence psychique » pour mettre en évidence combien la femme enceinte laisse ressurgir son histoire personnelle, ses conflits infantiles et ses fantasmes lors de la grossesse. Par cette élasticité de la barrière de ses refoulements, elle voit émerger chez elle un comportement plus narcissique, une sorte d’identification à son enfant par son « moi-bébé », processus probablement nécessaire à la compréhension et à l’attachement de la mère à son enfant. Donald W. Winnicott parle lui de « préoccupation maternelle primaire », pour décrire les dernières semaines de la grossesse et les premières après la naissance, pour évoquer cet état de compréhension instinctuel de la mère aux besoins de son bébé, comme une identification régressive qui lui permettrait de s’adapter au mieux à son bébé. Toutes ces théories ont pour but de mettre en évidence cette métamorphose spécifique à la maternité, et nous aident à comprendre combien elle peut être aussi aisée que déstabilisante. En effet, cette identification régressive peut faire ressortir chez la mère ses histoires personnelles difficiles (fausses-couches, avortement, deuil périnatal…), des tabous familiaux (deuil périnatal, violences sexuelles…), des angoisses profondes comme l’émergence de peurs archaïques liées à la maternité (peur d’éclater physiquement et psychiquement, peur de mourir, peur d’avoir un bébé anormal et peur de ne pas être une bonne mère…). Cette étape de vie est donc très chargée psychiquement et cette réalité ne doit pas être occultée.
Il y a des réalités de grossesse qui frappent durement les mères et les pères qui y sont confrontés et qui angoissent tous les parents : celles du diagnostique prénatal. Chaque parent traverse cette peur du diagnostique, cette fébrilité lors du rendez-vous médical (écoute du coeur du bébé, échographie, tri-test, DPNI, amniocentèse…). Ce sont autant de possibilités de se préparer à l’arrivée du bébé réel mais souvent chargées d’appréhensions. Et lorsque la grossesse est teintée par un diagnostique prénatal difficile, et qui génère des choix importants quant à la continuité de la grossesse, la femme enceinte et son conjoint tombent alors dans une réalité difficile, celle d’un espoir de vie sur le fil du rasoir, celle d’une vie de soins, ou celle d’une vie trop courte. Pour cette catégorie d’histoires de maternité, dans cet écrit, je ne me hasarderais pas à trouver comment faire de cette expérience une aventure positive, mais je tenais à ne pas occulter ce type de situations complexes, voilà pourquoi j’en fais mention en quelques mots.
Puis le grand jour de la rencontre est arrivé ! L’histoire est en train de s’écrire. Une fois la naissance survenue, ce sont souvent les mots « la maman et le bébé vont bien » qui transmettent l’annonce de la naissance. Et pourtant, derrière ces quelques mots se cachent parfois des réalités plus ombragées. Combien d’histoires de souffrance, de défaut de péridurale, de choix non respectés, de césariennes d’urgence, de scènes de « boucherie » nous avons pu entendre à postériori ! Oui, certaines histoires d’accouchement font peur et laissent des marques douloureuses dans le corps et dans le coeur des mères.
Ces difficultés de la grossesse et de l’accouchement sont des faits inhérents à cette période. Elles sont contextuelles mais elles sont tellement chargées physiquement et psychiquement qu’elles nécessitent d’être prises en compte. C’est parce qu’elles participent à l’écriture de cette histoire de vie qu’elles doivent être misent en lumière sous peine de laisser des cicatrices pérennes. Il en est de même pour les difficultés précisées ci-dessous.
2- Les difficultés inhérentes au corps médical:
La science a fait de nombreux progrès ces derniers siècles. Elle a développé de nombreuses techniques qui ont permis de soigner et de sauver des vies. Quelle chance de vivre dans le XXIème siècle pour cela. Et pourtant, à côté de cette évolution positive ont émergé des aspects bien négatifs, comme celui de la toute puissance du corps médical ou encore la perte de confiance dans les choix de la femme enceinte à l’égard de son corps et de ses capacités à enfanter. Avec l’arrivée des technologies médicales de surveillance, la grossesse normale est surveillée attentivement comme si elle était à risque. La confiance et l’écoute de la femme enceinte ont beaucoup diminué au profit des chiffres et des données. La grossesse est devenue un risque, au lieu d’être resté une opportunité. De ce fait, beaucoup de femmes se soumettent au pouvoir du médecin sans oser questionner. Dès lors, beaucoup de femmes acceptent, parfois sans mot dire, l’intrusion, l’hypermédicalisation ou encore l’infantilisation. Si elles semblent l’accepter, c’est qu’on leur a appris que c’est uniquement pour leur bien et celui de leur enfant. Maïtie Trélaun en parle en ces mots dans son livre J’accouche bientôt, que faire de la douleur : « Pour être rassuré, il est important d’avoir confiance dans les compétences de celle qui oeuvre. L’obstétricien nie bien souvent ces compétences, il pense donc que la responsabilité de la vie de la mère et de l’enfant est entre ses mains. Faisant abstraction des compétences internes de la mère, il ne peut que se fier à ses observations. Il va donc les multiplier. Il cherche en fait à mettre en place des moyens qu’il peut maîtriser, chiffrer, palper. Il met en place des protocoles tendant à standardiser les accouchements afin qu’ils rentrent dans des normes avec des repères bien palpables (…) Il se construit ainsi un cadre rassurant pour lui ».
Dans leur livre Le mois d’or, bien vivre le premier mois après l’accouchement, Céline Chadelat et Marie Mahé-Poulin l’évoquent ainsi : « La médecine a accompli des progrès considérables et notre système de santé est l’un des meilleurs au monde. Cependant, au sujet de l’accouchement, perdure une forme de domination du personnel médical qui "sait" sur la femme qui "ignore" avec le risque afférent d’infantilisation de la femme. Cette posture conduit à une généralisation de l’hypermédicalisation allant jusqu’aux violences obstétricales, devenues l’objet de dénonciations aujourd’hui ».
Grâce aux médias, les violences obstétricales sont maintenant dénoncées. Le Collectif Interassociatif Autour de la Naissance (CIANE!) définie celles-ci sous ces termes : « La maltraitance est donc caractérisée par des faits, isolés ou cumulés, plus ou moins graves et délétères :
- violence verbale (dénigrement, propos infantilisants, sexistes, homophobes, humiliants, menaces, intimidations, …) ;
- déni de la douleur exprimée et mauvaise prise en charge de la douleur (césarienne à vif, minimisation du ressenti de la patiente, …) ;
- absence d’information et de recherche du consentement et non respect du refus de soins ;
- absence d’accompagnement ou de bienveillance ;
- absence de respect de l’intimité et de la pudeur ;
- brutalité des gestes et des comportements ; etc.
Les conséquences des violences obstétricales sont encore mal documentées. Il est cependant clair que, dans les cas les plus graves, les violences obstétricales sont l’une des causes du syndrome de stress post-traumatique après un accouchement. Ce stress post-traumatique peut avoir des conséquences dramatiques : renoncement aux soins, vie sexuelle en berne, peur ou refus de grossesses ultérieures, remise en cause de l’idéal familial, sentiment de culpabilité, perte d’estime et de confiance en soi, etc. comme le souligne la méta-analyse de Fenech et Thomson parue dans le journal Midwifery en 2014 . Un état des lieux de la recherche en psychologie sur les accouchements traumatiques publié en 2015 dans Journal of Reproductive and Infant Psychology souligne entre autre que le choix, l’information et l’implication des patientes dans les décisions sont potentiellement protecteurs contre les accouchements traumatiques. »
Que ces violences soient inhérentes aux professionnels ou dues aux violences institutionnelles qu’ils subissent, notamment par leurs conditions de travail, ces violences sont faites aux femmes et laissent des traces non négligeables dans leur vécu de maternité.
3- Les difficultés de vécu du post-partum:
Le post-partum est une période encore assez méconnue, mais qui mérite vraiment qu’on s’y attarde. Cette période se déroule lors du premier mois de vie du bébé. C’est un temps de grand bouleversement dans la vie familiale. C’est une période qui, si on s’y prépare pas, peut engendrer des difficultés importantes. Voici une liste non exhaustive des changements qui ont lieu à ce moment: douleurs post-accouchement, chamboulement hormonal, mise en place de l’allaitement avec plus ou moins de difficultés, transformation du corps de la femme, gestion des pleurs de bébé, rythme de sommeil perturbé, période d’adaptation au bébé et à ses besoins, peu de temps pour soi, nouvelle gestion du quotidien, sexualité en pause… Parfois ces changements s’amorcent de manière fluide, parfois c’est plus compliqué.
Plus de 50% des femmes disent avoir vécu un épisode nommé le baby-blues. Il apparait souvent autour du troisième jour de vie du bébé et peut durer quelques heures à quelques semaines. Il est caractérisé par une hyper-émotivité, de la fatigue, un sentiment de solitude, de culpabilité, d’anxiété, de peur de ne pas réussir à répondre aux besoins du bébé… Si la plupart des mères savent qu’elles peuvent le vivre et le traversent assez rapidement, les symptômes peuvent parfois s’alourdir et le diagnostique se transformer alors en dépression du post-partum.
La dépression du post-partum peut apparaitre dans l’année qui suit l’arrivée du bébé. Elle touche entre 20% et 25% des mères. Elle est caractérisée par une profonde tristesse, un épuisement et un manque de sommeil, une culpabilité et une dévalorisation importantes, une difficulté à s’occuper de bébé, une anxiété extrême, un rapport changeant à la nourriture, une perte d’espoir… Cette pathologie nécessite souvent le soutien d’un professionnel pour en sortir. De plus en plus de films et de reportages mettent en évidence cette douloureuse étape de la vie de certaines mères. Le film « Un heureux évènement » de Rémi Bezançon, et formidablement bien interprété par Louise Bourgoin, soulève toute la problématique et pose tous les jalons de cette détresse chez certaines mères. Il aborde la transformation physique, la douleur, la solitude, le jugement, la culpabilité et le cercle vicieux de cette mère qui traverse une véritable tempête intérieure. Mais quelles sont les causes de cette traversée si tumultueuse? Dans ce film, le personnage principal, Barbara, pose cette question « Pourquoi personne ne m’a prévenu? ». Cette question est une première réponse possible mais de nombreuses autres causes peuvent être évoquées. En voici plusieurs : des facteurs psychologiques stressants consécutifs à la naissance d’un enfant ou au fait de devenir mère, un sentiment de perte lié à la fin de la grossesse, des causes biologiques et des modifications hormonales, des conditions psychologiques difficiles : solitude, conflits conjugaux, soutien conjugal insuffisant ou inadéquat, manque d’aide familial et social, un épuisement à la fois psychique et physique, des antécédents familiaux de dépression post-partum, des antécédents personnels de dépression ou de troubles mentaux (enfance empreinte de carences affectives, séparations précoces et événements douloureux comme des deuils, ou des séparations), la présence d’une dépression pendant la grossesse, des soucis financiers, de logement ou de travail, un accouchement difficile et des problèmes de santé consécutifs à l’accouchement, un bébé prématuré ou malade avec une séparation mère-bébé à la naissance… Tous ces facteurs de risques sont des pistes pour accompagner ces mères et comprendre leur réalité.
Nous avons pu nous rendre compte, par ces informations et ces chiffres, que la maternité est un moment de vulnérabilité importante, qu’elle peut être vécue négativement et qu’elle peut laisser des traces pour les grossesses suivantes. Fort heureusement, il est rare de cumuler toutes ces difficultés et il est aussi possible de bien vivre la maternité. Mais alors, comment peut-on surmonter ces difficultés quand on y est confronté, ou encore comment les transcender ?
Deuxième partie: Comment peut-on surmonter ces effets négatifs?
N’est-il pas étonnant de remarquer à quel point deux histoires sensiblement identiques peuvent être vécues avec beaucoup de différence? Comment comprendre que deux histoires similaires puissent déclencher des émotions positives chez un individu et négatives chez un autre? Ce qui semble différencier les deux personnes, c’est le regard qu’elles portent sur ce qu’elle vivent. C’est à dire qu’au delà des faits tangibles, c’est le vécu de l’individu qui donne la couleur. Mais alors comment faire en sorte de bien vivre les choses? Je proposerais deux axes de réflexion: encourager le lâcher-prise sur les choses qui ne peuvent être maîtrisées et investir ce qui peut être changé. Dans le livre sur le mois d’or, les auteurs l’expriment ainsi: « Mais quand les évènements ne se déroulent pas comme on l’imaginait, bien vivre son accouchement se joue à l’intérieur de soi: il faut choisir entre lutter et forcer, ou consciemment - lâcher, accepter. Acceptation ne signifie pas passivité et soumission. A l’inverse, se positionner, se faire respecter n’est pas synonyme de résistance ou de violence. Le secret réside dans cet équilibre entre positionnement et fluidité. Cette voie du milieu est une des clés de l’accouchement, même avec des circonstances difficiles. « Parfois, lâcher prise est un acte plus puissant que de se défendre ou s’accrocher », dit le philosophe Eckhart Tolle. Il s’agit de rester fluide pour suivre le courant de la vie, quand résister serait davantage source de souffrance. »
1- De l’importance du lâcher-prise dans la maternité
Le lâcher-prise, un concept très en vogue actuellement mais qui soulève bien des questionnements. Il en existe des livres de développement personnel sur le sujet. Chloé Mason, auteur du livre 21 jours pour lâcher prise - C’est parti ! donne le ton du sujet :
« Il n'est jamais trop tard pour changer. On peut commencer à vivre dès aujourd'hui notre vie de manière plus consciente. Pour ce faire, il nous faut avoir la volonté de sortir de l'illusion et nous mettre en action. Car nous sommes les seuls acteurs de notre propre changement. »
Quel est donc ce changement? Quel est l’intérêt de ce changement dans la vie et dans la maternité? Et puis, qu’est-ce donc que le lâcher-prise?
Le dictionnaire Larousse définit le lâcher-prise comme suit: « Moyen de libération psychologique consistant à se détacher du désir de maîtrise. ». Le lâcher-prise est une clé pour se libérer de ce qui nous asservit. C’est une attitude qui demande de reconnaître ses limites personnelles, d’être réaliste sur ce que l’on est. Il requiert une réelle volonté et un travail sur soi pour renoncer à tout comprendre, faire la paix avec son passé, reprendre confiance en soi et prendre du recul. Le lâcher-prise est une attitude qui encourage la présence à soi, cette aptitude à être dans le « ici et maintenant », pour vivre l’instant présent. C’est un choix d’être pleinement présent à ce qui se vit maintenant, à accepter de lâcher le contrôle sur l’avenir et sur ce qui ne peut être contrôlé. Le lâcher-prise n’est pas la soumission, la résignation, la fuite ni une preuve de faiblesse mais, bien au contraire, une présence consciente et apaisée à ce qui est en train de se vivre. Les bénéfices du lâcher-prise sont entre autre : la réduction du stress, un ressenti de calme, de sérénité et de paix intérieure. Un vaste programme qui semble avoir tout son intérêt dans le cheminement de la maternité.
Nous l’avons compris, le lâcher-prise semble être une attitude qui permet à celui qui l’expérimente d’être pleinement présent à ce qu’il vit, en conscience, et détaché des expériences passées et sans angoisse face à l’avenir. Un beau programme ! Or, la maternité réveille bien tout le contraire : les non-dits, la sur-médicalisation, les blessures (abus sexuels ou autres, fausses couches, deuils…), les angoisses pour ce qui concerne le passé mais aussi les peurs quant à l’avenir : celles de la douleur, celles de la vie et de la santé de cet enfant, celles des compétences pour s’en occuper… De plus, il y a de nombreuses facettes de la maternité que nous ne pouvons anticiper ou prévoir. Déjà lors de la grossesse, émergent des aspects non prévisibles comme le sexe du bébé, son état de santé, la gestion des changements physiques de la grossesse… En ce qui concerne l’accouchement, il est lui aussi plein d’incertitudes : la date de l’accouchement, le timing du travail, la gestion de la douleur, les personnes présentes, les cas d’urgence… Et par la suite, l’apparition du bébé réel avec ses besoins et son caractère, la gestion des douleurs post-naissance, l’état de santé du bébé… Mais alors, comment peut se manifester le lâcher-prise dans ce voyage qu’est la maternité ?
Pourtant, si le lâcher-prise est de plus en plus mis en avant depuis quelques années lors de ce parcours particulier qu’est la maternité, c’est qu’il constitue un allié de taille. En vivant l’instant présent, la femme enceinte peut savourer ce moment si inédit qu’est la grossesse, en se centrant sur ce qui compte vraiment pour elle, sans se soucier des imprévus. Elle focalise son attention sur ce qu’elle vit maintenant dans ce contexte précis. Elle prend alors la mesure du chemin qu’elle traverse en posant un regard bienveillant sur son corps et sur ce qu’elle est en train de vivre. Maïtie Trélaun l’aborde sous cet angle :
« Accepter dans notre vie de donner toute la place à la gestation, d’accueillir dans chacune de nos cellules ce petit être qui a choisi de passer au travers de nous, c’est accepter de se lancer dans l’inconnu. C’est quitter son passé de femme pour se laisser sculpter mère. C’est quitter ce que nous sommes ou ce que nous croyons être pour se laisser rencontrer par l’enfant. Devenir mère, c’est se laisser bousculer, c’est entrer dans la mouvance de l’adaptation. »
Pour ce qui est de l’accouchement, le lâcher-prise est un outil précieux pour faciliter le travail. Grâce au lâcher-prise, la femme qui accouche peut laisser de côté son néocortex et ainsi laisser son corps et ses hormones faire le travail. Elle reconnait ainsi qu’elle ne sait pas ce qu’elle va vivre mais qu’elle a confiance en son corps qui, lui, sait. Elle laisse de côté ses réflexions purement humaines pour aller à la rencontre de son identité de mammifère qui sait enfanter depuis toujours. Isabelle Brabant, sage-femme et auteur du livre Vivre sa grossesse et son accouchement: une naissance heureuse utilise ces quelques mots pour parler du lâcher-prise lors du travail d’enfantement : « A croire avec confiance que cette violence qui nous traverse a un chemin tout tracé vers la naissance; et nous en serons le vaisseau plutôt que le capitaine. La peur de perdre le contrôle nous empêche d’avoir accès à la douceur du monde de l’abandon, des endorphines, de la sérénité qui vient quand on se laisse porter par ce qui est plus fort que nous. »C’est le travail du lâcher-prise, contraction après contraction, qui permet au bébé de naître. En acceptant de s’ouvrir, de laisser passer son bébé, la mère fait preuve d’une grande dose de lâcher-prise. Elle s’abandonne littéralement à son corps et se donne entièrement pour son enfant. Et ce vécu très spécifique à la maternité peut être à l’origine d’un changement intérieur très profond et semer les graines d’une véritable confiance en soi, d’une réalisation de soi, d’un regard nouveau sur soi. Sur ce chemin du lâcher-prise, la maternité peut devenir un moment charnière dans la vie d’une femme et générer une métamorphose profonde.
Enfin, lors du post-natal, le lâcher-prise aide véritablement la mère et son entourage à se concentrer sur l’instant présent, en ayant confiance en sa capacité à comprendre les besoins de son enfant et à y répondre au moment où le besoin se fait sentir. Le lâcher-prise éloigne alors les angoisses pour l’avenir, la peur de ne pas être à la hauteur, l’impact des jugements, le besoin de contrôle…
En définitive, il apparait comme une évidence que le lâcher-prise a bien sa place dans la maternité, dans la mesure où il apporte le calme dans les coeurs, la confiance dans son corps à donner naissance à son bébé, la confiance en soi pour trouver les ressources nécessaires au bon moment. Et même si accepter de lâcher le contrôle dans sa vie est un exercice qui peut s’avérer profond et long, l’amorcer dans le processus de la maternité peut clairement être un déclencheur pour tout le reste de la vie. J’en suis profondément convaincue, la maternité peut véritablement être un tremplin qui amorce cette transformation intérieure.
2- Positionnement dans le cheminement de la maternité
La maternité est un temps particulièrement long et propice aux questionnements. S’il est bon de pouvoir lâcher-prise sur certains aspects, il est aussi intéressant de se préparer à vivre pleinement cette aventure. Quelle que soit la forme utilisée, l’investissement du couple dans le processus de la maternité est important pour leur permettre de devenir acteur de ce qu’ils vivent. Pour ce faire, Il existe plusieurs outils à disposition des futurs parents.
De nos jours, la préparation à la naissance est très répandue. En France, elle est même remboursée par la sécurité sociale. Ce temps mis à part est utile pour qui veut se préparer à la naissance en amont. Il existe plusieurs formules: la préparation classique (physiologie de l’accouchement, postures, soulagement de la douleur, allaitement, …), le chant prénatal, l’haptonomie, le yoga prénatal, la sophrologie et la préparation en piscine… Lors de ces séances, la future mère est invitée à déposer ses questionnements et investir encore plus sa grossesse. La préparation lui permet d’avoir des réponses à ses questions et de découvrir des techniques qui pourront l’aider lors de l’accouchement.
Il existe aussi de nombreux livres sur le sujet de la maternité et ce, dans tous ses aspects : la grossesse, l’évolution du bébé in utero, la préparation à la naissance, l’accouchement, la gestion de la douleur, la période du post-partum, l’allaitement, le sommeil de bébé… La grossesse est souvent un moment propice au repos et à la lecture. Ce temps est absolument nécessaire pour qui veut se faire une idée objective de ce qu’il va vivre. Ce temps de lecture, seul ou en couple, peut vraiment les aider à faire des choix qui leur ressemblent et trouver des réponses ciblées à leurs questionnements personnels.
Le projet de naissance est aussi un outil qui permet au couple de se préparer à la venue de son bébé. Il leur permet de réfléchir ensemble à ce qui compte vraiment pour eux lors de la naissance de leur enfant et dans les premiers jours de sa vie. Le projet de naissance est formulé par les futurs parents à la destination des professionnels de santé qui seront présents lors de l’accouchement, afin que ceux-ci puissent mieux les connaître et sachent quels sont leurs souhaits pour la naissance. Il n’est pas un plan figé dans la mesure où le couple sait que tout peut évoluer en fonction des circonstances, mais il ouvre le dialogue sur les besoins et les souhaits des parents. Il est un véritable outil de communication entre les parents et les professionnels.
Enfin, lorsque la parole a du mal à se libérer, quand il s’avère nécessaire de faire des réajustements, la future maman peut aussi s’adresser à un professionnel pour aller plus loin afin d’avancer dans une meilleure compréhension de soi, travailler son estime de soi, apprendre à se regarder avec bienveillance, ou encore guérir de blessures du passé… Il existe de nombreux professionnels/associations et de nombreuses méthodes qui peuvent venir en soutien d’une future maman qui en ressent le besoin. Ces difficultés qui émergent lors de la grossesse sont autant de sujets qui peuvent être abordés avant la naissance afin d’apaiser le chemin à venir.
En définitive, c’est en se positionnant, en faisant des choix, que le couple se prépare à vivre la naissance de son enfant. Tous les outils cités ci-dessus sont des supports pour s’approprier, en amont, cette histoire. Par la réflexion amorcée pendant la grossesse, sur l’accouchement et le post-partum, le couple se prépare à être acteur. Auguste Conte, philosophe français du XIXème siècle le traduit comme suit: « Savoir pour prévoir, afin de pouvoir. » Cette posture est primordiale dans le vécu de la maternité car elle permet d’assumer ses choix en conscience et ainsi de vivre pleinement l’histoire qui s’en vient. De plus, cette attitude permet à la femme enceinte de réaliser que c’est bien elle qui traverse cette expérience dans son corps, et qu’il est donc nécessaire qu’elle ose exprimer ce qu’elle ressent et ce qui compte pour elle. Cette préparation en amont la replace au centre de son histoire. Elle n’est plus une femme à accoucher mais une femme qui donne naissance à son enfant. C’est cette posture qui change la donne lors de la naissance. Isabelle Brabant, sage-femme, le résume très bien en quelques mots : « Surtout ne perdez pas de vue qu’aucune de ces personnes ne vous accouche: c’est vous qui accouchez ! » Alors forte de cette compréhension de ce qu’elle veut, la future mère ne subit plus, elle choisit en conscience de traverser ce qui lui arrive.
Nous avons vu que le lâcher-prise et le positionnement sont de formidables outils pour la future mère, afin de vivre pleinement sa maternité. Ces deux aspects peuvent véritablement changer les choses en ce qui concerne son vécu. Et sans arriver à définir qui est l’auteur de « la prière de sérénité », Marc Aurèle, Reinhold Niebuhr, ou d’autres, il est évident que celui-ci avait déjà trouvé les mots pour résumer cette attitude de vie : « Mon Dieu, donnez moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse de distinguer les premières des secondes. ». En définitive, les difficultés seront peut-être là, mais la future maman saura qu’elle a les ressources en elle pour les traverser. Et cela fera toute la différence !
Troisième partie: En tant que doula, comment puis-je accompagner efficacement les parents en amont ou au travers de ces difficultés ?
C’est à mon sens là que réside entre autre l’intérêt d’une doula, à savoir prévenir en amont des difficultés et aider à les traverser. Je suis convaincue que la doula tient une place importante dans ce type de contexte et notamment dans ces deux aspects du cheminement, pour travailler sur le positionnement intérieur et aussi pour se préparer efficacement à vivre cette traversée. Je détaillerais quels sont mes outils sur ces deux facettes de l’accompagnement.
1- La doula, comme accompagnante au lâcher-prise:
La doula est une alliée de la future maman, elle travaille à ses côtés, pour elle. Si elle a su se faire choisir, elle va pouvoir mettre en place un accompagnement basé sur une relation de confiance et ainsi transmettre de vrais outils et de vraies informations qui pourront soutenir la maman. C’est par la mise en place d’un rituel de présence à soi à chaque rencontre que je veux accompagner la future maman à s’écouter, à amorcer une attitude de lâcher-prise.
J’y vois l’occasion, pour la future maman, de prendre un temps pour elle, pour lâcher la to-do-list de son quotidien et se recentrer sur elle. L’apprentissage de cette capacité à être sans faire me semble primordial pour les mamans d’aujourd’hui. Elles qui ont souvent un poids important sur leurs épaules doivent sentir qu’elles comptent aussi, qu’elles peuvent se déposer dans un espace bienveillant et exister simplement. C’est cet espace que je veux offrir aux futures mamans. De formidables outils comme la respiration, la relaxation ou encore la méditation pourront me servir dans ce temps précis.
En tant que doula, en prénatal, il me semble plus qu’important d’accompagner la maman à prendre du recul sur son passé, à raconter son histoire. Je trouve très important de prendre un temps pour que la future maman raconte son histoire en tant que fille, femme puis mère. C’est grâce à un contexte d’écoute et de bienveillance sans jugement que la maman peut se raconter dans toute son intimité de vie. Je me servirais des principes de la Communication NonViolente (CNV) pour aiguiser mon écoute afin qu’elle soit toujours plus impartiale et entière. Marshall B. Rosenberg, fondateur de la CNV utilise le terme d’empathie. Il la définit dans son livre « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) » comme suit : « Or l’empathie veut que nous portions toute notre attention sur le message de l’autre, que nous accordions à l’autre le temps et l’espace dont il a besoin pour s’exprimer pleinement et se sentir compris. L’empathie est une compréhension empreinte de respect de ce que les autres vivent. Au lieu de proposer de l’empathie, nous avons souvent tendance à donner des conseils, à réconforter, à donner notre avis ou à exposer notre sentiment. L’empathie exige en revanche que nous fassions le vide dans notre esprit et que nous écoutions l’autre de tout notre être. » J’espère arriver à faire ce travail en moi afin de permettre aux futures mamans de se déposer entièrement dans un espace propice à ce travail. Car je sais que le simple fait de dire son histoire dans un véritable espace d’écoute pourra permettre l’émergence de problématiques et ainsi conscientiser des choses de son histoire. De ce fait, elle pourra ouvrir les yeux sur son parcours et faire la paix avec lui si besoin. Bien évidemment, il sera de mon ressort de l’orienter si des besoins importants émergent et nécessitent l’accompagnement par un professionnel.
Concernant ma place de doula lors de l’accouchement, je pense important d’accompagner la maman dès les rencontres prénatales à visualiser la naissance, à se la représenter mentalement, à s’y confronter en amont. Pour ce faire, après avoir décortiqué les différentes étapes de la naissance, expliqué le jeu hormonal et les formidables compétences du corps des femmes pour cette expérience, j’ai à coeur de proposer la lecture du conte « la femme source de vie », tiré de l’ouvrage de ma formatrice Isabelle Challut, « Rituels de femmes pour réenchanter la maternité ». Je suis convaincue que la lecture de ce conte révèle en chaque femme une part de son histoire. Ce conte aborde clairement les différentes étapes de l’accouchement par le ressenti de la protagoniste. Et si chaque expérience d’accouchement est propre à chaque femme qui la vit, ce conte réunit toutes les femmes autour d’une même histoire, la femme qui enfante. Ainsi, cette immersion veut donner la possibilité à la future maman de retrouver la confiance en son corps et encourager la posture de lâcher-prise.
Comme je l’ai évoqué plus tôt, il est aussi de mon ressort, en tant que doula, de familiariser la future maman avec les processus naturels de la naissance. Je pense que pour vivre pleinement le lâcher-prise lors de l’accouchement, il est nécessaire d’avoir compris son intérêt. Il est donc de ma responsabilité d’expliquer clairement le rôle des hormones, celui du lâcher-prise, de la mise à distance du néo-cortex mais aussi des synergies mère-bébé qui y ont lieu, ainsi que de leurs bienfaits (par exemple le tandem hormonal bébé-maman, l’essorage du bébé à l’expulsion, l’aide de l’allaitement pour la délivrance du placenta…) Forte de sa compréhension des processus en jeu, la future maman pourra s’abandonner aux fonctions naturelles de son corps et ainsi expérimenter le lâcher-prise, véritable outil facilitant le processus de la naissance. Je trouve important de transmettre à la future maman que son corps, même chamboulé et traversé par la vie, n’est pas nécessairement en danger. Cette compréhension clarifiée entre douleur et souffrance pourra l’aider à vivre le lâcher-prise lors des contractions qu’elle aura à traverser.
Mais la maman est seule à vivre ce passage à vide. Elle est seule à ressentir cela dans son corps. Je peux la rejoindre uniquement dans la mesure où mes mots (ou mon silence paisible) et mes gestes assurent une continuité avec ce qu’elle vit. Céline Chadelat et Marie Mahé-Poulin dans leur livre sur le postnatal l’évoquent ainsi: « C’est une mise à nu d’elle-même dont elle seule est témoin (…) Il n’est pas question de maîtriser, il est question de se laisser emporter en allant connecter toujours plus profondément sa confiance. Consentir à ce qui se passe, consentir à ce qu’elle rencontre durant ce voyage aussi surprenant que cela puisse paraître. Faire confiance (…) Il suffit d’un instant pour lâcher-prise, c’est l’hésitation qui est longue; c’est ce pas en avant qui nous semble impossible, ce moment où l’on accepte de perdre ses repères, de nous abandonner à ce qui vient, de croire en la vie. »
Ainsi, convaincue des compétences du corps des femmes à donner naissance à leur enfant, je souhaite, en tant que doula, verbaliser clairement à chaque femme qui fera un bout de chemin avec moi, que je crois en elle, que je crois dans les compétences de son corps à faire ce beau travail et dans son aptitude à faire ce pas de lâcher-prise. Je suis intimement convaincue que les mots ont une portée immense dans le coeur des gens, et que par mes mots de doula, je pourrais transmettre beaucoup de confiance en soi, de paix malgré les vagues qui se succèdent et de fierté du travail accompli. Je veux que mes mots soient un outil d’accompagnement au lâcher-prise. Et comme le dit si bien Isabelle Brabant, mes mots trouveront un écho dans une attitude de soutien et par des gestes bienveillants, ils se voudront une aide pour cette maman lors de son enfantement :
« L’accouchement est une île qu’on ne devrait jamais visiter seule ». ... j’ai rêvé d’une présence féminine amie qui connaîtrait ce territoire inconnu pour moi, et les mots qui parlent au cœur, qui chuchotent, qui propose des sentiers presqu’ invisibles, des raccourcis insoupçonnés, qui nous font découvrir les éclaircies, les points de lumière, quand on ne voit plus que l’obscurité.»
Après la naissance, mon rôle de la doula pour favoriser le lâcher-prise me semble différent. Il s’agira d’encourager la maman dans ses compétences, notamment à observer son bébé et à savoir répondre à ses besoins. J’encouragerais à prendre le temps et à vivre pleinement les premiers moments. Mon positionnement et notamment mes mots seront importants pour permettre à la maman de se distancer des injonctions sociétales sur les compétences d’une mère, de ne pas se laisser atteindre par des discours jugeants qui pourraient la fragiliser, et d’accepter de traverser des émotions parfois déroutantes. Mon travail sur cet aspect et dans ces circonstances sera d’avoir une attitude réconfortante, encourageante et valorisante, afin d’aider la maman à constater par elle-même les belles compétences dont elle dispose. Je souhaite dire et redire, dans mon accompagnement de doula, les mots des auteurs du livre Le mois d’or - Bien vivre le premier mois après l’accouchement : « Apprenez à vous faire confiance et à écouter votre bébé. La solution est en vous, dans l’équipe que vous formez avec votre enfant! Votre bébé est unique. Il est le plus à même de vous indiquer ce qui lui convient et ce dont il a besoin. Et vous, vous êtes la spécialiste de votre bébé. »
Pour aider la maman à se familiariser avec son corps d’après, je proposerais en post-partum des massages et des temps de serrages de bassin. Ces moments de détente profonds auront pour but de remercier ce corps encore endolori pour ce magnifique travail qu’il aura fait. Et si j’ai eu le privilège d’être présente lors de la naissance de son bébé, je raconterais à cette maman, avec mes mots, l’histoire de naissance dont j’ai été témoin, en mettant en avant le fabuleux travail de son corps tout au long de la grossesse puis lors de l’accouchement. Valoriser ce travail si beau et si exigeant aura pour but de l’accompagner à remercier son corps pour avoir traversé cette grande transformation et ainsi l’aider à accepter cette transition physique qu’elle vit et à poser un regard plus doux sur son corps d’après.
Et pour aller encore un peu plus loin dans cette réflexion sur le lâcher-prise, je désire toujours plus comprendre les mots de John Kabat-Zinn, inventeur de la méditation de « pleine conscience », « Plutôt que "lâcher-prise", nous devrions plutôt dire "laisser-être". » notion qui à mes yeux conjugue acceptation paisible des circonstances et regard serein sur soi-même. Lors d’une expérience difficile de grossesse, d’enfantement ou de post-partum, cette conception du « laisser-être » et sa mise en pratique par l’accompagnement par une doula peut vraiment aider à traverser les questionnements « pourquoi…? » ou encore « et si…? ». Soutenir les émotions, faciliter une image de soi positive et bienveillante, encourager les compétences… autant de travail auprès du coeur des mamans pour les aider à « laisser-être », voici à mes yeux mon travail de doula dans cet aspect de la maternité.
2- La doula, comme soutien du couple dans le positionnement
Un des aspects fondamentaux de l’accompagnement de la doula est de transmettre par ses mots l’importance pour le couple de s’autodéterminer dans cette expérience de vie qu’ils vont traverser. Si la doula a fait comprendre en profondeur au couple à quel point son consentement pour chaque acte est nécessaire (loi Kouchner du 4 mars 2002), que leur avis compte et qu’ils sont en droit de poser toutes les questions, d’émettre aussi parfois des réserves ou des avis contraires à ceux du corps médical, elle aura réussi à les responsabiliser et à leur permettre de s’investir et de s’engager vraiment dans leur histoire. Il ne s’agit bien évidemment pas de contrer les avis médicaux par principe, juste de permettre aux parents de faire leurs propres choix en conscience. Je porte une attention particulière à mes échanges avec les parents afin de les amener à comprendre l’importance de leur consentement dans les différentes étapes de la naissance et de l’accueil de leur bébé. Ainsi, les parents de cet enfant seront acteurs de leur expérience de vie.
Il me parait fondamental, en tant que doula, de donner un maximum d’informations au couple afin qu’il puisse faire des choix éclairés. En plus des préparations classiques à la naissance qui participent beaucoup à la préparation des couples à vivre l’arrivée de leur enfant, les rencontres prévues avec la doula viennent travailler encore plus en profondeur certains questionnements qui demandent éclairage à leurs yeux. Le contenu des rencontres de préparation à la naissance auprès d’une doula se veut individualisé et adapté aux demandes des parents. Et c’est grâce à cette proximité du couple avec sa doula que des questionnements importants peuvent surgir. A la suite de cela, il est du rôle de la doula d’accompagner les parents à rédiger un projet de naissance, à mettre par écrit leurs choix. Ce travail est vraiment complet dans la mesure où les parents ont eu l’opportunité de poser toutes leurs questions et d’y trouver des réponses qui leur correspondent. De ce fait, le projet de naissance est véritablement un outil pour ma pratique professionnelle pour accompagner le cheminement du couple dans une réflexion approfondie des conditions de naissance qu’ils souhaitent pour leur enfant et aussi vers la prise de décision lors de l’accouchement. Il sera de mon ressort aussi de proposer des lectures adaptées à leurs réflexions en cours et à leurs besoins.
Lors de l’accouchement, la doula ne rentre pas en discussion directe avec le corps médical. Elle a semé des graines de compréhension et de connaissance ainsi que d’autodétermination dans le couple. Elle peut par contre accompagner les parents dans leur réflexion sur le moment, elle peut les aider à prendre le temps de la réflexion, à temporiser, à demander toutes les informations pour faire un choix éclairé. Elle peut rappeler aux parents leur projet de naissance si cela semble pertinent quant au contexte. De ce fait, les parents, s’ils questionnent le corps médical et s’ils s’engagent dans une voix, pourront assumer plus facilement le contexte de ce qu’ils vivent car ils auront pris position. C’est ici un accompagnement à l’autonomie que je rechercherais.
Un des aspects très important dans le rôle de la doula, et c’est à mon sens une nouveauté dans la prise en charge des mamans, est la volonté d’accompagner l’après accouchement. Consciente des enjeux de cette période en terme hormonal, physique, émotionnel… l’accompagnement par la doula prend tout son sens car il permet la compréhension de ce qui va se passer sur cette période, et d’anticiper en amont les besoins. Ainsi, par les dernières rencontres avant la naissance, je considère que la mise en place d’un projet postnatal peut être vraiment un outil pour adoucir le quotidien de ces parents fraichement nés. Par la mise en lien des personnes ressources au couple et des moyens à dispositions, je pourrais accompagner les futurs parents à anticiper les besoins du premier mois après la naissance de leur bébé. Mon objectif sera de créer un réseau de soutien autour de cette famille et d’encourager la responsabilisation des personnes gravitant autour d’eux. Cette perspective d’entraide peut facilement être mise en place lors du rituel du blessingway par exemple, lorsque toutes les amies, soeurs, mères… sont présentes autour de la future maman. D’autres formes sont toutes aussi possibles pour atteindre cet objectif, comme les carnets de chèques cadeaux de naissance d’Ingrid Bayot, qui anticipent notamment la livraison de plats, la participation au ménage, la gestion des autres enfants, le soutien logistique et pratique de certains détails de la vie de la famille, la proposition de soin de confort pour la maman… Avec cette préparation en amont, je souhaite aider les parents à trouver en douceur leur nouvel équilibre de vie et se sentir soutenu dans ce temps particulier qu’est le post-partum.
Conclusion
« Nous avons besoin, pour accoucher, de nous sentir en sécurité. C’est beaucoup plus qu’un besoin individuel: c’est un réflexe de protection de l’espèce. Avez vous déjà vu une chatte chercher son nid, sa place pour accoucher, en miaulant de ce cri si particulier? Rien n’y fera, tant qu’elle ne l’aura pas trouvé! Cette sensation de sécurité prend sa source, d’abord, dans la confiance. Confiance en notre corps, en sa capacité de mener à bien son travail, confiance en notre pouvoir de sentir, de questionner, de comprendre. »
Ces mots d’Isabelle Brabant mettent bien en évidence quels sont les besoins de la femme qui accouche. Nous l’avons vu, le cheminement de la naissance révèle des choses du passé et écrit une nouvelle histoire. Pour que cela se fasse dans des conditions optimales et bénéfiques, la femme qui accouche, comme toutes les autres avant elle, a des besoins qui doivent être entendus. La doula que je suis portera haut et fort ces besoins en lumière afin que toujours plus, les expériences de maternités soient humaines, belles, respectées et, pourquoi pas, épanouissantes !
BIBLIOGRAPHIE
Ingrid Bayot, Le quatrième trimestre de la grossesse, Editions Erès, Paru en février 2018, 288 pages
Donald W. Winnicott, Jeu et réalité, Editions Gallimard, Paru en janvier 2002, 288 pages
Céline Chadelat et Marie Mahé-Poulin, Le mois d’or - Bien vivre le premier mois après l’accouchement, Presses du Châtelet, paru en mai 2021, 250 pages
Maïtie Trélaun, J’accouche bientôt, Que faire de la douleur ? Editions le Souffle d’Or, paru en avril 2012, 230 pages
Isabelle Brabant, Vivre sa grossesse et son accouchement : une naissance heureuse, Editions Chroniques Sociales, paru en avril 2013, 440 pages
Marshall B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou ce sont des murs), Edition Syros, Paru en Octobre 1999, 285 pages
Isabelle Challut, Rituels de femmes pour réenchanter la maternité, Editions Le Courrier du Livre, paru en septembre 2017, 195 pages
SITES INTERNET
http://www.observationsociete.fr/structures-familiales/couples-sans-enfant.html
https://ciane.net/2017/10/violences-obstetricales-comprendre-prevenir-reparer/
Ingrid Bayot - chèques cadeaux de naissance www.ingridbayot.com
La loi Kouchner du 4 mars 2002 sur le consentement https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/
FILMOGRAPHIE
Rémi Bezançon « Un heureux évènement »