Qui est cette doula qui fait peur ?
Le métier de doula est en plein essor. De nombreuses écoles fleurissent et de nombreuses femmes se forment pour devenir doula. Ce métier émergent semble véritablement répondre aux besoins des femmes et des couples dans leur aventure de grossesse, de naissance puis de parentalité. Dans une démarche de prise de conscience de l'importance de faire des choix, d'un besoin d'accompagnement tout au long de la grossesse et pendant le post-partum, d'une nécessité de retrouver de la confiance lors de cette étape de vie, de nombreux parents font le choix d'être accompagné par une doula. Mais il reste des zones d’ombres, des histoires entendues de doulas qui font peur, des freins de la part de certains professionnels aussi…
Je vous propose de faire le point sur ces peurs et sur ces appréhensions quant aux doulas. Suivez-moi dans ces quelques articles critiques pour comprendre quels sont les enjeux dans cette question.
Le Journal International de Médecine titrait en 2008 : "Le danger des doulas mis en évidence par un fait divers dramatique". L'article rapporte un fait divers tragique autour de la mort d'un bébé, lors de sa naissance à domicile accompagné par une doula. La doula n'aurait pas pu réanimer le bébé.
"Mais leur influence peut être plus dangereuse, notamment lorsqu’elles contribuent à créer une rupture entre les femmes enceintes et le monde médical."
Notre famille titrait en 2011 : "Pour ou contre les doulas?" Dans cet article une doula et une sage-femme évoquent les avantages et les risques d'être accompagné par une doula. La sage-femme exprime clairement l'importance de la formation de la doula. Elle met en évidence que certaines doulas peuvent s'auto-proclamer doula et occasionner un danger dans les conseils qu'elles peuvent donner aux patientes.
"Etre une doula, c'est tout à fait différent. Ce n'est pas une profession, car elle n'est pas réglementée. Pour y prétendre, il suffit d'avoir une expérience, c'est-à-dire avoir accouché et allaité, et avoir suivi une formation de deux ou trois jours. C'est en quelque sorte une auto-proclamation."
"La doula n'est pas perçue comme une menace pour la profession de sage-femme. Mais c'est un danger potentiel pour les patientes. Les doulas se font payer plusieurs centaines d'euros, ce qui leur donne une légitimité auprès de la patiente, alors que les conseils peuvent être de mauvaise qualité, par déficit de formation."
Futura titrait également : "Doulas, quelles sont les limites de la sécurité ?" Dans cet article, le journaliste explique pourquoi les gynécologues-obstétriciens et les sages-femmes ont des réticences à voir émerger cette profession à leurs côtés.
"Elle rappelle aussi que « leur fonction peut les conduire à empiéter sur les compétences de professions de santé, en particulier sur celles des sages-femmes, et les exposer à des poursuites pour exercice illégal de la médecine. Leurs interventions peuvent se révéler dangereuses pour la mère et l'enfant à divers égards »."
Le journal Le Monde en 2008 propose dans son article "Les "doulas" très critiquées par l'Académie de médecine - Ni sages-femmes, ni médecins, ces femmes se proposent d'"accompagner" la grossesse." d'éclaircir les inquiétudes de la sphère médicale envers les doulas. Les professions médicales précisent ainsi que les doulas ne sont pas suffisamment formées et encouragent à ne pas créer de reconnaissance officielle des formations et des fonctions des doulas.
"Tout comme les risques de "retard d'hospitalisation", d'"emprise", voire "de déviance plus ou moins sectaire"."
L'article d'Attendre bébé : "Grossesse : Les doulas, un accompagnement controversé..." met en évidence les disparités entre les écoles de formation des doulas, le coût des prestations et la comparaison entre les compétences des doulas et des sages-femmes/gynécologues-obstétriciens.
"L’Académie Nationale de Médecine déclarait ainsi dans un rapport de juin 2008, « s’étonner de la nature variée et parfois insolite de ce qui enseigné, de la qualité discutable des intervenants et des jurys d’examens, de l’absence de tout contrôle, du coût de l’enseignement, de la brièveté et de l’insuffisance de l’expérience pratique »."
Position identique chez le Docteur Philipe Descamps, chef du service de gynécologie-obstétrique du centre hospitalier et universitaire d’Angers et membre du CNGOF ( Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français) « Le fait d’être maman ne confère pas automatiquement de compétences » s’emporte- t-il « Elles assistent simplement, en tout et pour tout, à six modules de formation de 18 heures.
Comment pourrait-on comparer les doulas aux sages-femmes qui sont astreintes à plusieurs d’années d’études obligatoires? Aux obstétriciens qui suivent un très long cursus ? Je ne vois pas comment ces femmes seraient en mesure de réagir à d’éventuelles pathologies de l’accouchement. Ce n’est pas parce que l’on se casse une jambe qu’on peut devenir orthopédiste !»
Le Figaro titrait "La vogue des 'doulas' inquiète le corps médical" en 2007. Cet article met en évidence le manque de formation médicale dans la formation des doulas ainsi que le sentiment de concurrence entre les sages-femmes et les doulas.
« La porte ouverte à tout et n'importe quoi », résume Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l'ordre des sages-femmes. « On ne s'improvise pas experte sur ces questions qui exigent une connaissance médicale, s'indigne-t-elle. C'est même dangereux : un conseil inadapté, psychologique ou physique, suffit à causer un drame. Particulièrement dans ces instants de la vie où la femme est fragilisée. »
Dans tous ces articles, les arguments invoqués en défaveur des doulas sont les suivants :
- Influence dangereuse
- Encouragements à la rupture avec le système médical
- Conseils de mauvaise qualité par manque de formation
- Risque d'exercice illégal de la médecine
- Emprise sur les personnes accompagnées
- Déviance sectaires
- Incapacité des doulas à faire le travail des sages-femmes et des gynécologues et notamment à réagir en cas de complications lors de la naissance
- Concurrence entre doulas et sages-femmes
- Manque de connaissance médicale dans la formation des doulas
A la lecture de ces articles, il semble dangereux de prendre une doula. Et pour cause, plus de 15 ans après ces articles, les résistances sont encore palpables. Même si de nombreuses sages-femmes encouragent aujourd'hui les futurs parents à faire appel à une doula en prénatal, en complément de leur présence lors de l'accouchement ou encore en postnatal, la présidente du Conseil de l'Ordre des sages-femmes interpellait les ministres en octobre 2022 à ne pas considérer les doulas comme des professionnelles capables de soutenir les parents en post-partum. Elle emploie les mots "non-professionnels", pratiques dangereuses", pratiques déviantes"ou encore "pseudo-professionnelles".
Alors il faut répondre, il faut informer, il faut justifier pour vous, les futurs et jeunes parents qui pourraient vouloir une doula à leurs côtés. Comme pour beaucoup de décisions prises, de jugements émis, c'est la peur qui est en jeu. La peur est une émotion normale chez l'être humain. Elle est parfois justifiée et nécessaire, comme lorsqu'elle nous pousse à fuir le danger. Mais elle est parfois injustifiée lorsqu'elle est diffusée aux autres sur des bases non factuelles. A ce moment précis, elle doit être dénoncée et non mise à l'honneur.
Alors je prends la parole :
- Oui, la doula peut avoir une influence dangereuse : si elle n'est pas formée et si elle n'est pas dans une démarche de remise en question permanente.
- Oui, la doula peut être dangereuse si elle encourage la rupture avec les personnels soignants au lieu de chercher à les relier et à créer de la confiance entre eux.
- Oui, la doula peut être dangereuse si elle ne suit pas de formation et s'auto-proclame doula sur le simple fait d'avoir été mère et/ou d'avoir allaité.
- Oui, la doula peut être dangereuse si elle propose des actes médicaux, pose des diagnostics et prend la place du professionnel de santé.
- Oui, la doula peut être dangereuse si elle prend l'ascendant sur les personnes qu'elle accompagne, décidant pour eux quelles sont les meilleures décisions à prendre.
- Oui, la doula peut être dangereuse si elle spiritualise trop la naissance, encourageant la femme enceinte à se déconnecter de son corps, à utiliser la pensée magique et mystique comme outil de travail.
- Oui, la doula est dans l'incapacité de faire le travail d'une sage-femme ou d'un gynécologue-obstétricien car ce n'est pas son métier, là ne sont pas ses compétences.
- Oui, il y a de la concurrence entre les sages-femmes et les doulas si celles-ci n'arrivent pas à comprendre à quel point elles sont complémentaires et combien elles doivent travailler ensemble pour assurer un accompagnement optimal des futurs mères et des futurs pères.
- Oui, il y a un manque de connaissances médicales dans la formation des doulas, car les doulas ne pratiquent pas une profession médicale. Elles ne sont pas formées à poser un diagnostic ni à proposer des soins médicaux à une jeune mère ou à un nouveau-né. Elles ne proposent pas de consultations, ni de dépistages, ni même de séance de préparation à la naissance. Elles n'assurent ni suivi de grossesse, ni suivi médical, ni rééducation périnéale. Son travail est bien différent.
- Oui, la formation des doulas est plus courte que celle des personnels soignants. Mais elle comporte tout de même plusieurs centaines d'heures de formation (voir selon les centres de formation), la rédaction d'un écrit, le suivi lors d'un stage d'accompagnement global et de multiples autres formations complémentaires au choix selon les étudiantes.
La peur envers les doulas repose parfois sur des faits, lorsque celles-ci ne font pas correctement leur travail. Mais il est important de considérer que ces dérives arrivent dans n'importe quel métier. Le positionnement professionnel est un travail de chaque instant pour chaque professionnel. Et la périnatalité, comme la petite enfance, comme l'accompagnement de toutes personnes en état de vulnérabilité, nécessite de savoir se remettre en question professionnellement. Mais nous ne sommes jamais à l'abri de rencontrer quelqu'un qui ne respecte pas son cadre d'emploi ou ses compétences. Ceci doit être considéré comme la faute professionnelle d'une personne. Serait-il juste de punir une profession entière pour quelques personnes qui ne font pas bien leur travail ?
Ensuite, la peur envers les doulas vient d'une méconnaissance de ses fonctions. Cette méconnaissance est la source de la méfiance des professionnels de santé. Il est temps d'oeuvrer à faire connaître nos missions de travail, à légiférer sur le cadre d'emploi et à reconnaître la juste valeur de ce travail. Nous pourrions alors sortir de la peur, connaître véritablement l'autre et le recadrer s'il outrepasse ses fonctions. C'est l'absence de cadre qui rend le positionnement flottant et permet les dérives. Chercher à faire reculer la profession de doula est à mon sens une erreur car elle émerge à la suite de besoins existants chez les futurs parents. Avec les conditions actuelles de l'hôpital public, des conditions de travail des sages-femmes hospitalières, celles des sages-femmes libérales, le besoin sous-jacent à l'émergence des doulas n'est pas prêt de s'essoufler. Alors pourquoi lutter contre ? Se pourrait-il que nous puissions travailler ensemble à définir le rôle de la doula et à accepter de changer notre regard en passant de la peur à la confiance ? C'est mon souhait pour l'avenir !
De nombreuses associations travaillent en ce sens, et je veux ici saluer leur travail : Doulas de France, AFMAN, Annuaire Doula. Si le sujet vous intéresse, je vous encourage à écouter ce podcast très intéressant de La Vague.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le véritable rôle de la doula, et comprendre la complémentarité de cette profession avec celles médicales, voici quelques articles sur le sujet:
Si vous souhaitez échanger avec moi sur ce sujet, n'hésitez pas à me contacter. C'est par ici :